Les résistances au changement, par Pascal Neveu

Publié le par jrivalin


Les résistances au changement, par Pascal NEVEU

Introduction

 

Le but d’une analyse est sans contestation possible tant la levée du symptôme exprimé par le patient en devenir de sujet/analysant, que le changement structural de sa personnalité.

Dans un premier temps, après avoir pris rendez-vous, et surtout lorsque enfin il sonne à la porte de notre cabinet, le futur analysant exprime déjà un désir de changement, et manifeste un premier passage à l’action. Passage à l’action qui était déjà fortement marqué par de nombreuses résistances inconscientes (prise de rendez-vous, choix de l’analyste, du lieu d’analyse, de l’heure du rendez-vous…). Autant de manifestations de résistances qui se traduiront sous d’autres formes durant toute la cure analytique.

Mais avant de développer ce qui concourt à atteindre ce but de l’analyse, il me semble crucial d’insister sur le fait que le « succès » d’une analyse repose sur le travail des résistances au changement.

Lorsque Freud énonce son « Wo Es war, soll Ich werden » (Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 1932), il sous-tend que le psychisme est animé par des aspects et courants économique, topique et dynamique. C’est la métapsychologie.

L’individu est donc un sujet en devenir. Son Moi advient au fil du temps, et comme l’appuiera plus tard Lacan, il prend conscience de son Moi dans la relation avec l’Autre, le premier Autre étant la mère.

Certainement aussi parce que notre corps lui-même évolue, change, se transforme, notre psychisme vit des transformations permanentes, en passant des caps symboliques importants.

Tout comme nos cellules, avant de mourir, étaient à la base totipotentes avant de se spécialiser, le nourrisson devient enfant, puis adolescent (phase de la vie extrêmement chargée en changements), puis adulte, parent, grand-parent…

Toutes ces étapes de transformation, plus ou moins réussies s’accomplissent en parallèle de l’évolution d’une identité en partie statique, tout en étant dans la nécessité d’une incarnation certes vivante mais muable.

Corps et psychisme ne sont pas dissociables. Toute souffrance psychique s’exprime par une douleur manifeste ou sous-jacente, diffuse, dans le corps, ne serait-ce que l’angoisse.

Toute fixation à un stade antérieur de celui que nous aurions du atteindre demande à être interrogée durant la cure analytique.

Mais toute résistance manifeste en séance, qui est issue de cette fixation, du schème névrotique ou traumatique, peut s’exprimer à travers la relation analyste-analysant.

Aussi, travailler les résistances au changement, c’est travailler les résistances au but thérapeutique d’une part, au but analytique d’autre part.

Les résistances au but thérapeutique

Dès le premier entretien, le mal-être exprimé par le déjà ou futur analysant, prend tout son sens dans ce qui est dit, verbalisé à un Autre, au supposé savoir de l’analyste, « gourou » sur lequel il est projeté ce pouvoir de lever le symptôme.

Nous l’avons vu précédemment, ce qui caractérise la cure analytique, c’est le transfert.

Tout simplement parce que le transfert est le moteur du changement. Mais il peut également se révéler être un obstacle au changement, dans son expression la plus intéressante à interpréter : la résistance. Résistance au changement, résistance à la cure analytique.

Parce que l’analysant prend conscience, et exprime sa plainte de mécanismes de répétitions, il n’a pas encore conscience des relations entretenues avec des objet morbides, et la nécessité de changer d’objet, en passant par le retrait de la pulsion sur ces objets.

Une série de changements va s’imposer à lui, va être rendu possible dès le premier acte de la cure analytique.

Car démarrer la cure s’inscrit déjà, à mon sens, dans une dynamique de changement.

C’est là, dans un cadre thérapeutique, laissant la place au fantasme d’un but thérapeutique, que le processus psychanalytique s’engage.

Cadre à la fois confortable, car faussement enveloppant, mais aussi siège de toutes les résistances.

La règle des associations libres convoque déjà un triptyque classique : remémoration, abréaction, résistances.

Mais l’amplification des résistances possibles s’opère via le fameux cadre analytique propre à la Psychanalyse Active : les enregistrements sur cassette chez soi.

Le cadre clinique de la Psychanalyse Active, ainsi posé, accentue les phénomènes régressifs (indispensables à la cure, à condition qu’ils soient interprétés, faisant prendre conscience à l’analysant ses répétitions) en parallèle de l’amplification des remémorations et donc des résistances.

Régression/Répétition en même temps que remémoration.

Freud, dans Remémoration, perlaboration et répétition (La technique psychanalytique, 1914) le décrit ainsi : « L’analysé répète au lieu de se souvenir, et cela par l’action de la résistance (…) Nous devons traiter sa maladie non comme un événement du passé, mais comme une force actuellement agissante (…) C’est dans le maniement du transfert que l’on trouve le principal moyen d’enrayer l’automatisme de répétition et de le transformer en une raison de se souvenir. »

Je reviendrai sur le transfert un peu plus loin. Disons à présent que la technique active tente de neutraliser le terrain des résistances les plus offertes à l’analysant, en cadrant, à mon sens, la névrose de transfert.

En gros, l’analysant ne peut utiliser le « prétexte » du transfert comme objet de résistance, mais au contraire va rejouer et nous représenter la répétition, de manière plus primaire, qu’il nous faudra lui interpréter.

Et c’est précisément parce que Régression/Répétition/Transfert/ Résistances sont rattachés, que l’analysant, à condition qu’il entre dans le processus analytique et accepte ce cadre le plongeant directement dans ce quaternaire, va, outre les résistances classiques (oubli de l’enregistrement, problème d’enregistrement, évitement de la remémoration…) nous présenter des souvenirs écrans, manifester des fantasmes primaires et exprimer une usure des souvenirs, très souvent d’ailleurs par répétition apparente, mais fausse, d’un même événement.

Rendre conscient ce qui appartient encore au champ inconscient n’est pas suffisant.

A nous d’entendre au delà de ces événements jusqu’au jour où la chaîne associative va nous livrer, ce qui se joue inconsciemment.

En se remémorant, l’analysant réactive les traces mnésiques et les actualise, revit des blessures narcissiques, des angoisses de perte, de mort, son complexe d’œdipe, ses fantasmes sexuels…

D’autant plus de résistances lors de la représentation ou la manifestation de fantasmes.

D’une part parce que la relation aux objets passés, présents et futurs font replonger l’analysant dans un ensemble de fantasmes, dans un dire, mais pas encore un acte, de pulsions rattachées aux objets.

D’autre part parce que les associations libres, les remémorations réactivées par la psychanalyse active amplifient les fantasmes. Car même si les fantasmes expriment des désirs inconscients, ils ne sont pas pour autant propres à des souvenirs réels, mais davantage des souvenirs refoulés.

Ces fantasmes peuvent donc tout aussi bien activer un certain nombre de passages à l’action, ou bien au contraire (et c’est très souvent le cas) contrarier le passage à l’action, contrarier la chaîne associative et contrarier l’interprétation.

Les fantasmes seraient donc au service de la résistance.

Winnicott (Rêver, fantasmer vivre ; dans Jeu et réalité ; 1971) rapporte les propos d’une analysante : « Fantasmer est une chose qui arrive quand on ne fait rien et qui vous fait sentir qu’on n’existe pas ».

L’analyste, en cherchant à inscrire l’analysant dans la réalité, verra se transformer ces fantasmes, au service d’objets nouveaux, non entachés par les premières relations objectales. Et l’analyste est déjà un fantasme pour l’analysant, en lequel il tient la promesse de la guérison.

Tous les objets intériorisés par l’analysant (et les fantasmes en font partie) demandent, grâce à la cure, à être extériorisés et lâchés.

Ce qui convoque un lot d’angoisses qui devient l’expression de la résistance.

En ce sens la Psychanalyse Active accentue les émotions, les ressentis à nouveau collés aux événements. L’abréaction s’en voit alors fortement sollicitée, bien plus tôt qu’une analyse orthodoxe.

L’analysant ne peut que résister à ces émergences plus ou moins contrôlées par des mécanismes de défense que nous tentons de liquider.

Pour qu’il y ait changement, il faut qu’il y ait mouvement des dynamiques psychiques. Ces mouvements sont ressentis comme un danger pour un analysant plus enclin à se laisser diriger par la pulsion de mort, que trouver une issue harmonieuse en convoquant la pulsion de vie.

Outre des passages à l’acte possibles, expression de la répétition mais également voie/voix d’expression de l’abréaction, l’analyste utilise tous les outils de l’analyse afin de mener l’analysant aux passages à l’action, donc à l’expérimentation du changements, de nouveaux mécanismes.

La levée de l’inhibition, de la résistance, la « mise à mort » des mécanismes de répétition ne s’effectue en quelque sorte que par le dépassement de l’introversion-jouissance à l’extraversion-autres objets.

Cet Autre qu’incarne l’analyste (s’il respecte la règle essentielle de la neutralité, et la gestion de son contre-transfert) est le seul garant des mouvements salutaires à la cure analytique. L’Autre est indispensable à la déliaison des mauvais objets et la reliaison à de nouveaux objets.

Les résistances au but analytique

Comme je le disais brièvement en première partie, le cabinet du psychanalyste, le lieu de l’analyse, l’espace analytique…, est avant tout un théâtre analytique.

Un analysant qui joue les rôles d’acteur, metteur en scène, producteur… face à un seul spectateur : l’analyste. Il joue et interprète ainsi la variété des imagos qui le constitue. A l’analyste de les interroger et de les lui rendre visibles.

La relation analyste-analysant se révèle, nous le savons cruciale.

André Green (L’analyste, la symbolisation et l’absence dans le cadre analytique, 1974) évoque ce désir de changement partagé par l’analyste et l’analysant. Désir convergent si l’analyste est en mesure de le comprendre et d’en rendre compte.

Il insiste bien sur la nécessité de la gestion du contre-transfert de l’analyste et de la solide connaissance de ses propres limites et problématiques.

L’analyse induit le remaniement structurel de la personnalité dans la relation à un Autre, l’analyste à qui l’on demande de dire ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. Même si la référence au stade du miroir nous « saute aux yeux », il s’agit bel et bien à l’analyste de ne pas interférer, de ne pas jouer à la relation d’objet sur l’analyste que l’analysant va mettre en place.

 

En ce sens, la neutralité et la mise à bonne distance de l’analyste est une condition d’évitement du renforcement des résistances.

La verbalisation de l’analysant ne doit pas entraîner de conversation avec l’analyste.

L’analyste se doit d’entendre et renvoyer à l’analysant le dialogue intérieur projeté sur un objet neutre facilitant le transfert.

Le face à face amplifie d’ailleurs à mon sens les résistances : l’analysant recherche, provoque et attend les réactions de l’analyste, tant verbales, que gestuelles, aux fins d’une validation, d’un acquiescement ou d’un jugement d’un dire ou d’un acte,

C’est le jeu du transfert. Et à nouveau, afin d’empêcher toute objectalisation (voire instrumentalisation) nocive à la relation analyste/analysant, renforçant alors la résistance (voire l’échec de la cure), l’analyste se doit d’interpréter ses attitudes en séance, son contre-transfert.

L’analyste se doit de surveiller attentivement les mécanismes de transfert positif et négatif qui opèrent parfois lors d’une même séance.

Winnicott parle même d’objet « utilisable » en évoquant une des fonctions de l’analyste.

Le détachement aux anciens objets répétitifs et la reliaison à de nouveaux passe par un attachement transitoire à l’objet analyste.

Attachement affectif, lié à l’angoisse de la perte d’objet, voire idéalisation de l’objet analyste.

L’analyste se voit ainsi apparaître comme un objet de résistance.

D’ailleurs l’analysant n’exprime-t-il pas parfois ressentir une pression, une insistance de l’analyste, notamment via cet objet extérieur que sont les enregistrements d’associations libres, évoquées comme des devoirs. A nouveau, remémoration-répétition/ régression/résistance/transfert.

L’analysant, en pleine résistance, manifeste un transfert négatif.

Tout à tour, sont présents en séance, des mouvements pulsionnels agressifs, et pulsionnels libidinaux

Dans ce face à face analyste/analysant se rejoue à un moment le passage du Pré-Moi au Moi. L’analyste est ressenti comme l’objet/sujet qui veut changer l’autre, l’analysant.

Un analysant rebelle qui résiste et évoque un Surmoi auxiliaire projeté sur l’analyste.

Le surmoi est le principal saboteur du « Là où était le Cà, le Moi doit advenir. »

Pulsion de mort contre Pulsion de vie. L’analysant doit vivre le deuil des objets le ramenant à sa configuration morbide.

Afin d’appuyer ce propos, citions Freud (Au delà du principe de plaisir, 1920 ) qui dans sa théorie sur le travail de deuil et le sort de l’endeuillé, exprime ce qui, sans doute, correspond à la violence psychique de nos analysants en voie d’advenir, dans leur nécessité de se détacher des mauvais objets : « le Moi décides’il veut partager le destin de l’objet perdu, ou, considérant l’ensemble des satisfactions narcissiques qu’il y a à rester en vie, s’il accepte de rompre les liens avec l’objet perdu ».

A cette fin l’analyste est celui qui jongle avec ces instances psychiques les plus fondamentales, mais aussi conflictuelles, qui sont constitutives de notre condition d’être vivant.

Aussi l’atmosphère du cabinet, l’espace analytique joue-t-il un rôle important en tant que support de fantasmes, de projections rendant service au transfert négatif, aux résistances.

Les pulsions libidinales sont bien évidemment, elles aussi, à voir, entendre et si je puis dire à surveiller, précisément lors de la phase du détachement de l’objet, et avant attachement au nouvel objet.

Phase parfois critique, qui n’est nullement à négliger et en tout état de cause à gérer rapidement si l’investissement libidinal sur l’objet analyste est trop fort.

A nouveau la configuration transférentielle a sans doute quelque chose à dire et à interpréter.

Finalement quid de la névrose de transfert ?

De tout cela il ressort que transfert et contre-transfert se révèlent être des outils mis au service de l’analysant et l’analyste pour, chez l’un en osmose avec ses mouvements de résistance, chez l‘autre au service de la pulsion de vie.

Le contre-transfert peut être comparable à une réponse vivante au transfert. Il reste un puissant oeuvrant au processus de changement, à l’analyse des résistances, à la compréhension des mécanismes de répétition.

Les névroses de l’analysant s’expriment et se condensent dans une névrose de transfert sur laquelle l’analyste doit s’appuyer, en parallèle du travail sur les associations libres.

L’un et l’autre sont le socle de la cure analytique.

En pré conclusion, nous pourrions résumer la situation analytique à un constat : l’attitude de l’analyste est plus importante que son dire. Il se doit de rester objet et ne pas se vivre en sujet.

Conclusion

Dans L’analyse avec fin et l’analyse sans fin (1937), Freud précise : « Le psychanalyste doit instaurer les conditions psychologiques les plus favorables au fonctionnement du Moi ; cela fait, sa tâche sera accomplie. »

Un an plus tard, il précise que le Moi de chaque être humain restera toujours clivé. (Abrégé de psychanalyse, 1938)

Freud reste donc sceptique quant à la portée de l’analyse, en soulignant que l’on ne peut pas prévenir des conflits non encore présent dans l’actualité du sujet.

Il expose pleinement le questionnement, pour ne pas dire remise en cause du travail analytique, qu’expriment un certain nombre d’analysants, au cours de leur cure.

Pour autant, Freud reste dans la finalité de la cure analytique que j’énonçais au début : « So Es war, soll Ich werden ».

L’analyse n’est jamais terminée, mais fort d’un travail associatif, l’analysant aura trouvé le sens de sa participation à son mal-être en se libérant d’objets avec lesquels il entretenait une relation morbide, entrera dans une réalité laissant place à des relations d’objets laissant la part belle à la pulsion de vie.

La psychanalyse active, grâce à sa technique, amplifie les prises de conscience, les abréactions,… et favorise les changements, mais ne liquide pas le processus normal des résistances.

Ce combat permanent entre pulsion de vie et pulsion de mort ne peut que perdurer toute notre vie

L’analyste se doit d’accepter ces résistances, de laisser partir un analysant déjà transformé, qui ne souffre plus, et qui a introjecté en lui un nouvel outil d’introspection.

Goethe : Stirb und werde (Seelige Sehnsucht)

Et tant que tu n’as pas compris

Ce : meurs et deviens

Tu n’es qu’un hôte obscur

Sur la terre ténébreuse

Les résistances au changement


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