La vie, un théâtre? par Jacques Rivalin

Publié le par jrivalin


Prologue
J’écoutais discrètement un « vieux » comédien parler de son livre et de sa vie, jusqu’au moment où mon attention fût attirée par une phrase à résonnance psychanalytique « Quand je me lève le matin, je sais que je joue instantanément. »
Immédiatement, de nombreuses réflexions ont surgi : « Le monde est un théâtre. », « Ma vie est écrite. », « C’est mon destin, je ne peux rien changer.», etc…
Peut-on échapper à son déterminisme? D’ailleurs, y en a-t-il un ? L’inné/l’acquis, la religion, la place de Dieu –pour ceux qui y croient– et pour les non-croyants, quelle conception de la vie, de notre place et de notre rôle ?
Et puis d’autre part, à quel moment choisit-on ? Je plains les experts psys qui doivent savoir si le condamné à venir est responsable.
Vous vous demandez où je veux en venir ! Eh bien tout cela fait partie d’un vaste maillage atemporel et philosophique qui est l’objet même de la psychanalyse.
Ce vieux comédien a pleinement raison.
Tous les matins, nous sommes amenés à jouer, de façon consciente ou non. Simplement en se devant d’être aimable ou pas, avec son conjoint, ses proches, en feignant d’être disponible et plaisant avec ses collègues, en enfilant son rôle de petite frappe dans le quartier, son uniforme de juge, sa blouse de médecin.
Tenir sa place, son grade, rester dans son rôle, le quotidien de la vie nous amène tous à vivre cela. Mais est-ce que c’est écrit, est-ce que nos rôles sont immuables ?  Est-ce que la partition du déterminisme ne permet pas l’improvisation ?
Je vais tenter d’y apporter un regard psychanalytique.
Acte 1: La naissance
L’embryon, le fœtus, le nouveau né que nous avons été, qu’avons nous choisi? Comme le dit la chanson : « On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille », on ne choisit pas sa couleur de peau.  Nous ne choisissons pas non plus notre identité génétique, alors quel drame ! Quand le bébé paraît, tout est écrit!!
À ce stade, que la psychanalyse définit comme fœtal-oral, effectivement que nous sommes dotés et gérés par dame nature. Fichue phylogenèse, quand tu nous tiens!
Vont entrer en scène à ce moment deux acteurs importants dans ma pièce de théâtre : les parents, que eux non plus je n’ai pas choisis.
Pourvu que nous nous apprécions !
Eh oui, malheureusement, trop souvent ces premiers rendez vous se ratent, par maladresse ou par couveuse. Combien de nouveaux nés avec trois mois de couveuse, élément vital de leur vie, s’inscrivent dans ce rôle d’un état d’extrême abandon, et vont donc toute leur vie, même à son aube, en subir les conséquences des modèles effecteurs ? (Je développerai un  article sur ces fameux modèles).
À partir de maintenant, la partie commence. Chacun, chaque être dans l’environnement proposé va s’adapter peu ou prou. L’adaptation qui apparaît, faculté inhérente au psychisme, va organiser nos conduites plus ou moins bien appropriées à l’exotype  (l’environnement le plus large ) . S’esquisse malgré tout dès les premiers mois de la vie une sorte d’identité qui fait que c’est moi qui écris mon rôle.
C’est à ce moment que le Moi freudien apparait.

Acte 2 
Scène 1 : L’enfance
L’enfant, globalement à partir de deux ans, a déjà appris à percevoir les différentes sources d’agréments et de désagréments. Il perçoit, sans forcément l’identifier, les jeux dans lesquels on le met, ainsi que les différents rôles qui lui sont dévolus.
Ainsi, au sein de la famille ou de la fratrie, il comprend sans que cela soit conscientisé – et c’est parfois une chance– la partition qui est la sienne. A t-il un libre arbitre ?  J’ai tendance à penser, au vu de ma pratique psychanalytique, que non. L’adulte est décisionnel ; chanceux celui qui a pu bénéficier d’une pédagogie adaptée !
« Qu’est ce qu’il est maladroit ! Il est timide ! Il rougit tout le temps! Sa sœur est meilleure que lui à l’école, mais il travaille, c’est un bon petit ».
Et puis à l’école, dans la cour de récré, les paroles des camarades : « Ah non pas elle ! Elle est collante ! » « Ah Antoine toujours dans la lune, je sais que tu n’as rien écouté vas donc au tableau ! »
«Ton rôle dans l’équipe, sera d’être remplaçant», m’a dit l’entraîneur. Et moi, tout content et fier de ce statut  Ce n’est que plus tard au gré de mon analyse que j’ai  pu comprendre comment mon psychisme a refoulé que c’était une offense, et comment s’est ainsi façonné le rôle du perdant, de loser dans lequel je suis encore .
Ainsi au fil du temps, ON nous met dans des rôles, des jeux que nous n’avons pas choisis. Les plus répandus sont au sein de la famille, ou simplement la place d’ainé ou de benjamin détermine des comportements à notre égard et dans lesquels nous nous façonnons.
Combien me disent : «Cela, je ne peux le changer, je suis né ainsi.» et puis au fil de la démarche psychanalytique, se rendent compte que ce n’était pas un trait de caractère propre,  inné, mais une adaptation névrotique vraisemblablement adaptée à leurs différents exotypes.
Scène 2 : L’adolescence
Dans cet Acte 2 intervient dans le processus de développement une période particulièrement riche et souvent difficile à gérer, l’adolescence.
C’est une profonde période de mutation ; il y en a eu  précédemment, et il y en aura d’autres par la suite, mais celle ci est intéressante sur différents points. Tout d’abord, les modifications morphologiques/physiologiques qui attribuent au corps toutes les fonctionnalités de l’adulte. Nous sommes devenus des êtres pleinement sexués. Cela amène,  définit et ce malgré nous un autre rapport à l’autre. Combien de magnifiques éclosions avons nous pu observer, et combien d’acnés ravageuses, pour ne parler que de cela, avons nous observées ?
Cette évolution physique modifie notre impact sociétal et familial. Certains rôles dans lesquels on nous avait mis disparaissent, se transforment, évoluent, pour certains malgré eux, et pour d’autres, au contraire conscients de certains atours qu’ils vont s’approprier pour les faire évoluer en qualité. Prenons pour exemples le garçon maigrichon qui prend 15 cm en une année, fait de la muscu et change de fait de statut ; ou encore la jeune fille qui était une magnifique petite fille, et qui elle aussi pleine d’acné ne fait plus partie à aucuns endroits des envies et compliments.  J’aurais pu prendre des exemples contraires, il n’y a aucune malice machiste de ma part, ce ne sont simplement que des schémas que j’ai pu observer très répandus.
Je viens de parler des changements physiologiques, l’adolescence c’est au même titre une mutation intellectuelle. Pour faire court, ce qui ressort c’est l’émergence du sens critique, ce que l’on sentait diffusément, confusément  auparavant, maintenant on le pense en verbalisant. Le rôle de l’éducation scolaire est intéressante à observer, car à cet âge qui correspond au collège, début lycée il est demandé à l’élève d’évaluer, d’amener un commentaire. Certains s’y retrouvent pleinement et peuvent ainsi trouver un statut « d’autorité intellectuelle » ce qui va les autoriser à des postures jusque là inconnues, et donc pour certains de changer de rôles d’élève moyen, « il/elle devient intéressant ».
Cette faculté d’observation, de sens critique, maintenant mieux maitrisée permet à cette époque, pour certains, de prendre plus ou moins conscience des jeux et rôles dans lesquels ON nous a mis, malheureusement pas pour d’autres qui ne vont pas pouvoir profiter de cette période pour développer ces facultés. C’est souvent lié à un milieu familial coercitif qui empêche à l’enfant le droit de grandir et de devenir adulte.
Maintenant est-on capable de choix ? Pouvons-nous nous libérer des rôles dans lesquels nous étions enfermé ? Pas si sûr. Certains, par la rébellion, adoptent des postures contraires aux exigences des différentes autorités, mais se trouvent emprisonnés dans des rôles qui ne sont pas des vrais choix, et ce, souvent tout au long de leur vie. D’autres légitiment leur emprisonnement dans ce qu’on leur a demandé d’être par des arguties de façade, ainsi le timide dira que, pétri d’humanité, il ne se met pas en avant pour permettre aux autres leur expression!

Acte 3 : L’adulte.

A partir de quel moment peut-on être, se qualifier d’adulte ? La réponse est subtile car elle dépend des époques, du contexte social dans lequel nous évoluons, des exigences auxquelles nous sommes soumis, et surtout de nous même.
Un individu de 8 ans ou de 15 ans que nous observons de nos jours, ou  dans des périodes plus reculées 13ème siècle par exemple -je ne parle même pas de l’antiquité- ne présente pas les mêmes capacités d’adaptation, liées entre autre à l’hygiène alimentaire, corporelle etc.… L’organisme et le psychisme vont donc concentrer le potentiel d’énergie et d’activité nécessaire à la survie.
Il est probable qu’un enfant ou un jeune de ces époques paraitra plus mature qu’aujourd’hui et que vraisemblablement le qualificatif d’adulte pourrait être marqué plus tôt. Il est vrai qu’aujourd’hui, et fort heureusement, du moins dans nos sociétés occidentales, les préoccupations de survie sont peu actives. Certains jeunes étudiants que l’on nomme des « Tanguy » qui, pour différentes raisons restent au domicile familial bénéficiant encore du statut d’enfant et d’adolescent et pas encore totalement d’adulte, en sont l’exemple.
J’aurai donc tendance à définir ce statut d’adulte acquis, lorsque l’autonomie notamment matérielle est acquise, confronté que nous sommes aux réalités économiques, sociales, professionnelles, affectives.
Alors pour en revenir à notre vieux comédien, cet adulte, comme il le dit:
Quand je me lève le matin, je sais que joue instantanément. Joue t’il pour autant ? Eh bien oui, reprenons les fameux rôles dont nous avons parlé, celui de loser, d’ami idéal, de fille aimante et serviable, de l’employé modèle, du syndicaliste intraitable .
Eh bien oui nous sommes dans ces rôles immédiatement dés le réveil.
Mais fort heureusement que cela se révèle plus complexe. Intervient ici ce que j’ai évoqué pour la phase adolescente et  qui permet d’exercer une lecture plus critique sur soi et les autres. Le matin au réveil je suis confronté à deux possibilités : une paranoïde ou une schizoïde.
La phase paranoïde correspond au moment où, pleinement conscient des moments de ma journée, se développe  une exagération de ma perception exotypique, et donc m’amène à observer mes jeux, mes rôles pour mieux les faire coller aux attentes.
La phase schizoïde correspond où, plein de sommeil, ou mal pétri de mes réalités familiales et sociales, je minimise l’influence de l’exoptype allant parfois même à lui substituer ma volonté de voir les choses à ma façon.
Alors concrètement me demandez vous, cela se passe comment? J’aurai tendance à penser que plus l’éducation scolaire a sollicité les aptitudes intellectuelles d’analyse et de synthèse, plus nous sommes en capacité de perception des rôles dans lesquels ON nous a mis.
Pour certaines personnes, plus englués dans des confrontation Moi/Surmoi/Ça, où parfois malheureusement les illusions d’être se mélangent dans la réalité, il est très difficile d’avoir les outils de perceptions physiologiques collaborant avec les facultés psychiques pour analyser finement ces fameux rôles dans lesquels nous sommes. Cela est une mise en danger, car non conscients des rôles dans lesquels elles sont, les autres peuvent en profiter habilement de différentes façons. N’oublions pas notre timide qui justifie sa pathologie en choix : quel bonheur pour un environnement nuisible.
Pour en arriver au fait que nous sommes plus ou moins conscients de ces rôles,quelle trouvaille me direz-vous, mais là aussi cela se révèle assez subtile.
Cela va donc passer par des scénarios constants d’adaptation. Je vais apprendre à composer progressivement des jeux d’acteur dans lesquels je suis plus ou moins naturel, le mieux adapté à la demande environnementale.
Par exemple, conscient plus ou moins que mon patron a de moi cette vision, je vais m’efforcer de remplir le rôle qu’il a de moi.
Certains, sous prétexte d’adaptation cachent des clivages d’un moi schizoïde voire psychotique, car il nous arrive d’observer des proches ou autres qui empêtrés dans des jeux de rôles sont tellement différents dans chaque posture que l’on arrive à se demander qui est l’autre et si finalement il y a une unité qui a su se protéger à travers la dilution des nombreux rôles : celui qu’il a avec moi, avec son patron, ses amis, sa sœur ainée etc… au point tel de ne plus reconnaître la personne ;
Mais l’adaptation peut elle aller jusqu’au mensonge ?
Epilogue : Le mensonge

Certains pour s’adapter utilisent de façon récurrente le mensonge, j’en rappelle quelques éléments :
Le mensonge est quotidien, bien plus que l’on puisse le croire, qu’il  s’agisse de  nous ou des autres. Nous utilisons sciemment ou presque machinalement comme un réflexe partie cachée d’un jeux de rôle. Le mensonge utilise différents mécanismes les mieux repérables sont :
– Un décryptage assez exact du réel, pour ne pas mentir à coté !
– Une distinction suffisante entre l’objectif et le subjectif (ce qui n’est pas encore le cas chez l’enfant) ;
– Une fantaisie importante pour construire la fiction et préparer les arguments.
Mais le menteur se trompe en pensant s’approprier la pièce dans laquelle il est acteur. In fine, il est prisonnier d’un scénario contre lequel il lutte en permanence.  Feignant la réalité, il est le pire prisonnier des rôles, car il est celui qui ne joue pas. On peut trouver comme exemple Christophe Rocancourt, ou encore le protagoniste du film Attrape-moi si tu peux.
Mais là n’est pas l’objet de mon exposé. La vie est faite constamment d’adaptation et de jeux dans lesquels nous sommes acteurs. Dans certains, nous sommes portés, et ils nous élèvent. Malheureusement, cela est rare, le quotidien est plutôt fait de voisinages plus ou moins agréables dans lesquels je me dois de rendre « la pareille ».
Le pire est celui qui se ment à lui même par déni ou affabulation. Revenons au timide qui, au plus haut de son art, n’a pas la capacité à s’évaluer (c’est la meilleure hypothèse),ou bien, plus ou moins conscient de son handicap, construit en permanence des jeux dans lesquels il pense briller .
Dans tous les cas, nous sommes obligés de composer au minimum social.  « Fais un sourire à la dame ! » en est l’exemple évident : je n’en ai pas envie mais il faut le faire. Cet exemple en forme d’image d’Epinal montre combien nous devons en permanence nous adapter et composer.
Composer et s’adapter c’est là le secret! Conscient de notre exotype (environnemental), conscient des attentes qui me sont attribuées, je vais devoir trouver le jeu le mieux approprié. C’est ce que les Jungien appellent la Persona. C’est le moment dans la construction de l’individu, (nous revenons à l’adolescence), période charnière dans laquelle nous peaufinons ou pas notre identité, et que nous allons pouvoir sentir combien le voisin est différent de moi, combien mes parents qui votent pour tel parti (ce qui ne me posait pas question auparavant) me dérangent par leurs choix.
L’appropriation de la Persona, ou plutôt l’autorisation à la développer, est souvent interdite par les parents, explicitement ou non. Tu ne vas pas chez eux ce sont des racistes, tu ne vas pas chez eux ils ne pensent pas comme nous ! La Persona c’est le moment où les acteurs Grecs, pour mieux exprimer un sentiment, se dotaient d’un masque (que les illustrations de l’article représentent) afin que le public soit mieux imprégné du sentiment qui passe.
La Persona est nécessaire, c’est l’interface dont nous avons besoin dans tous les rôles familiaux sociaux, ce petit Jiminy Cricket qui me dit en permanence qu’il vaut mieux faire/être de telle ou telle façon.
La Persona, c’est l’interface utile dont nous avons besoin en permanence et qui nous permet de composer un rôle le mieux approprié au contexte dans lequel nous évoluons, les jeux de compromission qui font parti de notre quotidien, et qui font qu’à un moment donné nous allons continuer ou pas. Notre morale, (cela je le développerai ultérieurement) doit à un moment donné intervenir et me dire là non tu ne peux y aller si ce n’est au prix d’un renoncement de mon intégrité.
 *~*~*~*
Vous l’avez compris, ma démonstration est de montrer qu’il n’y a pas de déterminisme, si ce n’est l’aspect transmis génétiquement qui conditionne une partie de l’intime de notre fonctionnement et réalité. Mais ma question en tant que praticien et didacticien a toujours été de savoir à quel moment le libre arbitre existe.
Une réponse repose sur mon développement précédent : être conscient des rôles et jeux et s’adapter en permanence grâce à la Persona, (c’est un qualificatif qui tel une topique permet de visualiser de façon topographique un mode de fonctionnement )
Alors la vie une pièce de théâtre ?
Je vous laisse juger ,  car mieux que nous, qui sait ?
Je remercie Michel Galabru qui m’a permis cette réflexion.
J. Rivalin: psynantes.blogspot.com

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